Lars Von Trier, Les Idiots
1998, Film, durée : 1h57
Dans une petite ville bourgeoise, un groupe de personnes décident de jouer aux idiots.
Ils estiment que la société dans son ensemble traite leur
intelligence de façon non créative et sans défis. Ils se plongent alors dans un état de régression mentale, rejettent toute inhibition et se moquent de la société dite normée / normative.
Ils incarnent une véritable opposition subversive à la raison, à intelligence, au système de production capitaliste.
Dans L'idiotie, Jean-Yves Jouannais explique très bien le point de bascule de ce film, qui est en fait le point de bascule de tout idiot volontaire, l'arme utilisée pour enliser, étouffer la bouffonnerie.
"Là aussi la pratique subversive et ludique de l'idiotie, programmation
consciente du désastre, ajustement terroriste de l'infamie et de l'incohérence, connaît l'intimidation face à la folie. L'irruption de véritables débiles mentaux dans le jeu installe plus que de la gène, elle fait que le cinéma devient impossible. Certes, le film continue sur sa lancée, la scène est tournée, mais les éléments constitutifs de la fiction se délient un à un. Les principes cruels de l'idiotie jouée se désintègrent au contact du drame sentimental de la folie. C'est alors un moteur en surchauffe, qui patine avant de se désintégrer, privé de sa respiration. Lars Von Trier a eu l'intuition de cette résistance, de ce point d'impact à partir de quoi refluent les présupposés intellectuels, bredouillent et se récusent les conventions de l'art avant de perdre pied, d’abandonner le terrain. Le journal de tournage du réalisateur a gardé trace de cette confrontation :
Hier nous avons eu la visite de mongoliens, qui étaient vraiment gentils et braves. Le seul problème c'est que lors des premières prises, aucun des acteurs n'était dans son personnage.[...] Et c'est tout simplement parce que soudain on se retrouvait avec des idiots authentiques et qu'il fallait qu'ils se sentent bien, il fallait bien les traiter[...]. j'ai dû interrompre en plein tournage parce que les acteurs ne se souvenaient même plus de leur nom dans le film, mais utilisaient leur propre nom... un phénomène étrange, mais c'était donc la rencontre entre la réalité et la fiction".
(L'idiotie, Jean-Yves Jouannais, Champs arts, Flammarion, 2003)
C'est peut être là un point de bascule pour Enfance de Merde également. Même si la naïveté, l'idiotie en quelques sorte permettent une certaine liberté, créativité, voir surtout une désinhibition dans la création, un contact avec du vrai art naïf, une véritable idiotie, serait assurément déstabilisant, et briserait le jeu pour un instant.